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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qu’aux palais. Du reste, j’étais si charmé de mes courses, que je ne pensais presque plus au pôle. Une compagnie de trafiquants, venant de chez les Creeks, dans les Florides, me permit de la suivre.

Nous nous acheminâmes vers les pays connus alors sous le nom général des Florides, et où s’étendent aujourd’hui les États de l’Alabama, de la Géorgie, de la Caroline du Sud, du Tennessee. Nous suivions à peu près des sentiers que lie maintenant la grande route des Natchez à Nashville par Jackson et Florence, et qui rentre en Virginie par Knoxville et Salem : pays dans ce temps peu fréquenté et dont cependant Bartram avait exploré les lacs et les sites. Les planteurs de la Géorgie et des Florides maritimes venaient jusque chez les diverses tribus des Creeks acheter des chevaux et des bestiaux demi-sauvages, multipliés à l’infini dans les savanes que percent ces puits au bord desquels j’ai fait reposer Atala et Chactas. Ils étendaient même leur course jusqu’à l’Ohio.

Nous étions poussés par un vent frais. L’Ohio, grossi de cent rivières, tantôt allait se perdre dans les lacs qui s’ouvraient devant nous, tantôt dans les bois. Des îles s’élevaient au milieu des lacs. Nous fîmes voile vers une des plus grandes : nous l’abordâmes à huit heures du matin.

Je traversai une prairie semée de jacobées à fleurs jaunes, d’alcées à panaches roses et d’obélarias dont l’aigrette est pourpre.

Une ruine indienne frappa mes regards. Le contraste de cette ruine et de la jeunesse de la nature, ce monument des hommes dans un désert, causait un grand saisissement. Quel peuple habita cette île ? Son nom, sa