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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

étions, arrêtée dans l’onde et reproduite par un mirage, balançait devant nous sa double perspective. À l’orient, la lune reposait sur des collines lointaines ; à l’occident, la voûte du ciel était fondue en une mer de diamants et de saphirs, dans laquelle le soleil, à demi plongé, paraissait se dissoudre. Les animaux de la création veillaient ; la terre, en adoration, semblait encenser le ciel, et l’ambre exhalé de son sein retombait sur elle en rosée, comme la prière redescend sur celui qui prie.

Quitté de mes compagnes, je me reposai au bord d’un massif d’arbres : son obscurité, glacée de lumière, formait la pénombre où j’étais assis. Des mouches luisantes brillaient parmi les arbrisseaux encrêpés, et s’éclipsaient lorsqu’elles passaient dans les irradiations de la lune. On entendait le bruit du flux et reflux du lac, les sauts du poisson d’or, et le cri rare de la cane plongeuse. Mes yeux étaient fixés sur les eaux ; je déclinais peu à peu vers cette somnolence connue des hommes qui courent les chemins du monde : nul souvenir distinct ne me restait ; je me sentais vivre et végéter avec la nature dans une espèce de panthéisme. Je m’adossai contre le tronc d’un magnolia et je m’endormis ; mon repos flottait sur un fond vague d’espérance.

Quand je sortis de ce Léthé, je me trouvai entre deux femmes ; les odalisques étaient revenues ; elles n’avaient pas voulu me réveiller ; elles s’étaient assises en silence à mes côtés ; soit qu’elles feignissent le sommeil, soit qu’elles fussent réellement assoupies, leurs têtes étaient tombées sur mes épaules.

Une brise traversa le bocage et nous inonda d’une