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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pluie de roses de magnolia. Alors la plus jeune des Siminoles se mit à chanter : quiconque n’est pas sûr de sa vie se garde de l’exposer ainsi jamais ! on ne peut savoir ce que c’est que la passion infiltrée avec la mélodie dans le sein d’un homme. À cette voix une voix rude et jalouse répondit : un Bois-brûlé appelait les deux cousines ; elles tressaillirent, se levèrent : l’aube commençait à poindre.

Aspasie de moins, j’ai retrouvé cette scène aux rivages de la Grèce : monté aux colonnes du Parthénon avec l’aurore, j’ai vu le Cythéron, le mont Hymette, l’Acropolis de Corinthe, les tombeaux, les ruines, baignés dans une rosée de lumière dorée, transparente, volage, que réfléchissaient les mers, que répandaient comme un parfum les zéphyrs de Salamine et de Délos.

Nous achevâmes au rivage notre navigation sans paroles. À midi, le camp fut levé pour examiner les chevaux que les Creeks voulaient vendre et les trafiquants acheter. Femmes et enfants, tous étaient convoqués comme témoins, selon la coutume dans les marchés solennels. Les étalons de tous les âges et de tous les poils, les poulains et les juments avec des taureaux, des vaches et des génisses, commencèrent à fuir et à galoper autour de nous. Dans cette confusion, je fus séparés des Creeks. Un groupe épais de chevaux et d’hommes s’aggloméra à l’orée d’un bois. Tout à coup, j’aperçois de loin mes deux Floridiennes ; des mains vigoureuses les asseyaient sur les croupes de deux barbes que montaient à cru un Bois-brûlé et un Siminole. Ô Cid ! que n’avais-je ta rapide Babieça pour les rejoindre ! Les cavales prennent leur course,