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XL
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rité que donnait à sa parole toute une vie d’honneur et de vertu, écrivait de son côté, après une lecture des Mémoires :

Ce qui reste de cette lecture, c’est que notre vie si brève n’est faite absolument que pour l’autre vie immortelle, et que tout fuit devant nous jusqu’au rivage immobile.

Il (Chateaubriand) peint d’après nature, voilà pourquoi il choque tant. Il ne se lie pas par les idées émises, mais dit le bien après avoir dit le mal et se montre successif comme la pauvre nature humaine…

Du pour et du contre ; oui, dans les choses de la politique humaine, jamais contre les vérités imprescriptibles, contre les hauts sentiments du cœur humain : « Mon zèle, dit-il sur l’émigration, surpassait ma foi, » et puis sur cette même émigration viennent deux pages admirables.

Combien son mouvement religieux est vrai ! Jamais il ne le blesse, ni par inadvertance ni par désir de bien dire…

Quelle est donc la beauté morale dont M. de Chateaubriand n’ait pas eu le sentiment, qu’il n’ait pas respectée, qu’il n’ait pas glorifiée de tout l’éclat de son pinceau ? Quel est donc le devoir dont il n’ait pas eu l’instinct et souvent le courage ? On veut bien qu’il ait été quelquefois sublime d’égoïsme ; avec plus de justice on pourrait le montrer dans bien des circonstances capable d’élan, de sacrifice et de dévouement, non pas à un homme peut-être, mais à une idée, à un sentiment incessamment vénéré. Certes, M. de Chateaubriand n’est pas un homme en qui la vérité règle, pondère, perfectionne tout. Le sacrifice aurait plu à son imagination, mais l’abnégation, le détachement de lui-même, aurait trop coûté à sa volonté. De là des côtés faibles ; une insuffisance de la raison, qui a nui à la dignité de son caractère, à son attitude dans le monde, mais n’a jamais rien coûté à l’honneur[1].

C’est sur ce mot que je veux finir. Chateaubriand a été le plus grand écrivain du dix-neuvième siècle. Mais il n’est pas seulement en poésie l’initiateur et le maître :

Tu duca, tu signore e tu maestro.
  1. Mme Swetchine, sa vie et ses œuvres, par le comte de Falloux, tome I, p. 339. — Extrait d’une note de Mme Swetchine sur les Mémoires d’Outre-tombe.