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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Ressemblais-je à Marie Stuart se promenant à Fontainebleau, quand je me promenai dans ma savane après mon veuvage ? Ce qu’il y a de certain, c’est que mon esprit, sinon ma personne, était enveloppé d’un crespe long, subtil et délié, comme dit encore Ronsard, ancien poète de la nouvelle école.

Le diable ayant emporté les demoiselles muscogulges, j’appris du guide qu’un Bois-brûlé, amoureux d’une des deux femmes, avait été jaloux de moi et qu’il s’était résolu, avec un Siminole, frère de l’autre cousine, de m’enlever Atala et Céluta. Les guides les appelaient sans façon des filles peintes, ce qui choquait ma vanité. Je me sentais d’autant plus humilié que le Bois-brûlé, mon rival préféré, était un maringouin maigre, laid et noir, ayant tous les caractères des insectes qui, selon la définition des entomologistes du grand Lama, sont des animaux dont la chair est à l’intérieur et les os à l’extérieur. La solitude me parut vide après ma mésaventure. Je reçus mal ma sylphide généreusement accourue pour consoler un infidèle, comme Julie lorsqu’elle pardonnait à Saint-Preux ses Floridiennes de Paris. Je me hâtai de quitter le désert, où j’ai ranimé depuis les compagnes endormies de ma nuit. Je ne sais si je leur ai rendu la vie qu’elles me donnèrent ; du moins, j’ai fait de l’une une vierge, et de l’autre une chaste épouse, par expiation.

Nous repassâmes les montagnes Bleues, et nous rapprochâmes des défrichements européens vers Chillicothi. Je n’avais recueilli aucune lumière sur le but principal de mon entreprise ; mais j’étais escorté d’un monde de poésie :