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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

l’immense escadron les suit. Les chevaux ruent, sautent, bondissent, hennissent au milieu des cornes des buffles et des taureaux, leurs soles se choquent en l’air, leurs queues et leurs crinières volent sanglantes. Un tourbillon d’insectes dévorants enveloppe l’orbe de cette cavalerie sauvage. Mes Floridiennes disparaissent comme la fille de Cérès, enlevée par le dieu des enfers.

Voilà comme tout avorte dans mon histoire, comme il ne me reste que des images de ce qui a passé si vite : je descendrai aux champs Élysées avec plus d’ombres qu’homme n’en a jamais emmené avec soi. La faute en est à mon organisation : je ne sais profiter d’aucune fortune ; je ne m’intéresse à quoi que ce soit de ce qui intéresse les autres. Hors en religion, je n’ai aucune croyance. Pasteur ou roi, qu’aurais-je fait de mon sceptre ou de ma houlette ? Je me serais également fatigué de la gloire et du génie, du travail et du loisir, de la propriété et de l’infortune. Tout me lasse : je remorque avec peine mon ennui avec mes jours, et je vais partout bâillant ma vie.


Ronsard nous peint Marie Stuart prête à partir pour l’Écosse, après la mort de François II.

De tel habit vous estiez accoustrée,
Partant, hélas ! de la belle contrée
(Dont aviez eu le sceptre dans la main),
Lorsque, pensive et baignant vostre sein
Du beau crystal de vos larmes roulées,
Triste, marchiez par les longues allées
Du grand jardin de ce royal chasteau
Qui prend son nom de la source d’une eau.