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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Américains ont déjà porté trop longtemps de suite la couronne d’olivier : l’arbre qui la fournit n’est pas naturel à leur rive.

L’esprit mercantile commence à les envahir ; l’intérêt devient chez eux le vice national. Déjà, le jeu des banques des divers États s’entrave, et des banqueroutes menacent la fortune commune. Tant que la liberté produit de l’or, une république industrielle fait des prodiges ; mais quand l’or est acquis ou épuisé, elle perd son amour de l’indépendance non fondé sur un sentiment moral, mais provenu de la soif du gain et de la passion de l’industrie.

De plus, il est difficile de créer une patrie parmi des États qui n’ont aucune communauté de religion et d’intérêts, qui, sortis de diverses sources en des temps divers, vivent sur un sol différent et sous un différent soleil. Quel rapport y a-t-il entre un Français de la Louisiane, un Espagnol des Florides, un Allemand de New-York, un Anglais de la Nouvelle-Angleterre, de la Virginie, de la Caroline, de la Géorgie, tous réputés Américains ? Celui-là léger et duelliste ; celui-là catholique, paresseux et superbe ; celui-là luthérien, laboureur et sans esclaves ; celui-là anglican et planteur avec des nègres ; celui-là puritain et négociant ; combien faudra-t-il de siècles pour rendre ces éléments homogènes ?

Une aristocratie chrysogène[1] est prête à paraître avec l’amour des distinctions et la passion des titres.

    emprunts à la langue latine, fragrance, effluences, cérulés, diluviés, vastitude, blandices, rivulaires, obiter.

  1. Chrysogène, née de l’or. Terme nouveau inventé par l’auteur et qui mérite de faire fortune.