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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

donner le premier coup de bêche à sa tombe. Chateaubriand lui répondit :

Paris, 15 août 1836.

J’ai ouvert avec émotion une lettre timbrée de Combourg, et j’ai trouvé, Monsieur, qu’elle était de vous et qu’il s’agissait de mon tombeau. Mille grâces à vous, Monsieur, et Dieu soit loué ! La chose est donc finie ! tout est bien, pourvu que je sois sur un point solitaire de l’île, au soleil couchant, et aussi avancé vers la pleine mer que le génie militaire le permettra. Quand ma cendre recevrait, avec le sable dont elle sera chargée, quelques boulets, il n’y aurait pas de mal : Je suis un vieux soldat.

Pour ce qui est de la pierre qui doit me recouvrir, j’avais pensé qu’elle pourrait être prise dans le rivage ; mais s’il y a quelques objections, on peut la prendre partout où l’on voudra : Je cherche surtout le bon marché, afin d’éviter à ma ville natale les frais dont elle se veut bien charger. Vous savez, Monsieur, qu’il ne faut aucun travail de l’art, aucune inscription, aucun nom, aucune date sur la pierre qui doit porter une petite croix de fer, seule marque de mon naufrage ou de mon passage en ce monde. Autour de cette pierre, un mur à fleur de sable, muni d’une grille de fer, suffira pour défendre mes restes contre les animaux sauvages et domestiques.

Je ne connais personne, Monsieur, qui mieux que vous et les hommes qui ont eu la bonté de s’occuper de cette affaire de mort, puisse prendre la peine d’inaugurer ma tombe. Le cippe posé et l’enceinte fermée, je désire que M. le curé de Saint-Malo bénisse le lieu de mon futur repos ; car avant tout, je veux être enterré en terre sainte ; un jour, Monsieur, comme vous me survivrez longues années, vous voudrez quelquefois vous reposer sur ma tombe au bord des vagues, et le soleil couchant vous fera mes adieux.

Voilà, Monsieur, les dernières explications que vous désiriez, je les ai dictées à mon secrétaire avec le regret de ne pouvoir les écrire moi-même, ayant une douleur assez vive à la main droite. Si vous avez l’extrême bonté de me tenir au courant du travail et de m’en annoncer la fin, je vous en aurai beaucoup d’obligation. La nuit me presse, comme dit Horace, et je n’ai guère le temps d’attendre.

En 1838, Hippolyte La Morvonnais publia la Thébaïde des Grèves et en fit hommage à Chateaubriand, qui lui répondit en ces termes :