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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/114

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fourni par le pâturage de la même montagne. Mais si les hommes ont fait tomber la tête de mon aîné, de mon parrain, avant l’heure, les ans n’épargneront pas la mienne : déjà mon front se dépouille ; je sens un Ugolin, le temps, penché sur moi, qui me ronge le crâne :

…come ’l pan per fame si manduca.

Le docteur ne revenait pas de son étonnement : il regardait cette petite vérole sortante et rentrante qui ne me tuait pas, qui n’arrivait à aucune de ses crises naturelles, comme un phénomène dont la médecine n’offrait pas d’exemple. La gangrène s’était mise à ma blessure ; on la pansa avec du quinquina. Ces premiers secours obtenus, je m’obstinai à partir pour Ostende. Bruxelles m’était odieux, je brûlais d’en sortir ; il se remplissait de nouveau de ces héros de la domesticité, revenus de Verdun en calèche, et que je n’ai pas revus dans ce même Bruxelles lorsque j’ai suivi le roi pendant les Cent-Jours.

J’arrivai doucement à Ostende par les canaux : j’y trouvai quelques Bretons, mes compagnons d’armes. Nous nolisâmes une barque pontée et nous dévalâmes la Manche. Nous couchions dans la cale, sur les galets qui servaient de lest. La vigueur de mon tempérament était enfin épuisée. Je ne pouvais plus parler ; les mouvements d’une grosse mer achevèrent de m’abattre. Je humais à peine quelques gouttes d’eau et de citron, et, quand le mauvais temps nous força de relâcher à Guernesey, on crut que j’allais expirer ; un prêtre émigré me lut les prières des agonisants. Le capi-