Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

long du port : les fenêtres de ma chambre descendaient à fleur de plancher, et du fond de mon lit j’apercevais la mer. Le médecin, M. Delattre, avait défendu de me parler de choses sérieuses et surtout de politique. Dans les derniers jours de janvier 1793, voyant entrer chez moi mon oncle en grand deuil, je tremblai, car je crus que nous avions perdu quelqu’un de notre famille : il m’apprit la mort de Louis XVI. Je n’en fus pas étonné : je l’avais prévue. Je m’informai des nouvelles de mes parents ; mes sœurs et ma femme étaient revenues en Bretagne après les massacres de septembre ; elles avaient eu beaucoup de peine à sortir de Paris. Mon frère, de retour en France, s’était retiré à Malesherbes.

Je commençais à me lever ; la petite vérole était passée ; mais je souffrais de la poitrine et il me restait une faiblesse que j’ai gardée longtemps.

Jersey, la Cæsarea de l’itinéraire d’Antonin, est demeurée sujette de la couronne d’Angleterre depuis la mort de Robert, duc de Normandie ; nous avons voulu plusieurs fois la prendre, mais toujours sans succès. Cette île est un débris de notre primitive histoire : les saints venant d’Hibernie et d’Albion dans la Bretagne-Armorique se reposaient à Jersey.

Saint-Hélier, solitaire, demeurait dans les rochers de Césarée ; les Vandales le massacrèrent. On retrouve à Jersey un échantillon des vieux Normands ; on croit entendre parler Guillaume le Bâtard ou l’auteur du Roman de Rou.

L’île est féconde ; elle a deux villes et douze paroisses ; elle est couverte de maisons de campagne et de troupeaux. Le vent de l’Océan, qui semble