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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Bourbon dans l’île de Jersey, après un orage. Tel confesseur et martyr pouvait dire à l’héritier de Henri IV, comme l’ermite de Jersey à ce grand roi :

Loin de la cour alors, dans cette grotte obscure,
De ma religion je viens pleurer l’injure. (Henriade.)


« Monseigneur le duc de Berry passa quelques mois à Jersey ; la mer, les vents, la politique, l’y enchaînèrent. Tout s’opposait à son impatience ; il se vit au moment de renoncer à son entreprise, et de s’embarquer pour Bordeaux. Une lettre de lui à madame la maréchale Moreau nous retrace vivement ses occupations sur son rocher :


« 8 février 1814.

« Me voici donc comme Tantale, en vue de cette malheureuse France qui a tant de peine à briser ses fers. Vous dont l’âme est si belle, si française, jugez de tout ce que j’éprouve ; combien il m’en coûterait de m’éloigner de ces rivages qu’il ne me faudrait que deux heures pour atteindre ! Quand le soleil les éclaire, je monte sur les plus haut rochers, et, ma lunette à la main, je suis toute la côte ; je vois les rochers de Coutances. Mon imagination s’exalte, je me vois sautant à terre, entouré de Français, cocardes blanches aux chapeaux ; j’entends le cri de Vive le roi ! ce cri que jamais Français n’a entendu de sang-froid ; la plus belle femme de la province me ceint d’une écharpe blanche, car l’amour et la gloire vont toujours ensemble. Nous marchons sur Cherbourg ; quelque vilain fort, avec