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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le 9 thermidor sauva les jours de ma mère ; mais elle fut oubliée à la Conciergerie. Le commissaire conventionnel la trouva : « Que fais-tu là, citoyenne ? lui dit-il ; qui es-tu ? pourquoi restes-tu ici ? » Ma mère répondit qu’ayant perdu son fils, elle ne s’informait point de ce qui se passait, et qu’il lui était indifférent de mourir dans la prison ou ailleurs. « Mais tu as peut-être d’autres enfants ? » répliqua le commissaire. Ma mère nomma ma femme et mes sœurs détenues à Rennes. L’ordre fut expédié de mettre celles-ci en liberté, et l’on contraignit ma mère de sortir.

Dans les histoires de la Révolution, on a oublié de placer le tableau de la France extérieure auprès du tableau de la France intérieure, de peindre cette grande colonie d’exilés, variant son industrie et ses peines de la diversité des climats et de la différence des mœurs des peuples.

En dehors de la France, tout s’opérant par individu, métamorphoses d’états, afflictions obscures, sacrifices sans bruit, sans récompense ; et dans cette variété d’individus de tout rang, de tout âge, de tout sexe, une idée fixe conservée ; la vieille France voyageuse avec ses préjugés et ses fidèles, comme autrefois l’Église de Dieu errante sur la terre avec ses vertus et ses martyrs.

En dedans de la France, tout s’opérant par masse : Barère annonçant des meurtres et des conquêtes, des guerres civiles et des guerres étrangères ; les combats gigantesques de la Vendée et des bords du Rhin ; les trônes croulant au bruit de la marche de nos armées ; nos flottes abîmées dans les flots ; le peuple déterrant les monarques à Saint-Denis et jetant la poussière des