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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

il voyait une nature nouvelle ; il comprenait une langue qu’il ne parlait pas. Je reçus de lui d’excellents conseils ; je lui dois ce qu’il y a de correct dans mon style ; il m’apprit à respecter l’oreille ; il m’empêcha de tomber dans l’extravagance d’invention et le rocailleux d’exécution de mes disciples.

Ce me fut un grand bonheur de le revoir à Londres, fêté de l’émigration ; on lui demandait des chants de la Grèce sauvée ; on se pressait pour l’entendre. Il se logea auprès de moi ; nous ne nous quittions plus. Nous assistâmes ensemble à une scène digne de ces temps d’infortune : Cléry, dernièrement débarqué, nous lut ses Mémoires manuscrits. Qu’on juge de l’émotion d’un auditoire d’exilés, écoutant le valet de chambre de Louis XVI raconter, témoin oculaire, les souffrances et la mort du prisonnier du Temple ! Le Directoire, effrayé des Mémoires de Cléry, en publia une édition interpolée, dans laquelle il faisait parler l’auteur comme un laquais, et Louis XVI comme un portefaix : entre les turpitudes révolutionnaires, celle-ci est peut-être une des plus sales[1].

  1. Les Mémoires de Cléry, valet de chambre de Louis XVI, parurent à Londres, en 1799, sous ce titre : Journal de ce qui s’est passé à la Tour du Temple pendant la captivité de Louis XVI, roi de France. La même année, MM. Giguet et Michaud les imprimèrent en France. Afin de détruire le puissant intérêt qui s’attachait à cette publication, le Directoire fit répandre une fausse édition intitulée : Mémoires de M. Cléry sur la détention de Louis XVI. L’auteur du libelle, non content de dénaturer les faits, l’avait semé de traits odieux contre le malheureux prince et la famille royale. Dès que Cléry en eut connaissance, il protesta avec indignation. Sa réclamation parut au mois de juillet 1801, dans le Spectateur du Nord, qui se publiait à Hambourg.