Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

son air, je m’enquis de sa personne : un de mes voisins me répondit : « Ce n’est rien ; c’est un paysan vendéen, porteur d’une lettre de ses chefs. »

Cet homme, qui n’était rien, avait vu mourir Cathelineau, premier général de la Vendée et paysan comme lui ; Bonchamps, en qui revivait Bayard ; Lescure, armé d’un cilice non à l’épreuve de la balle ; d’Elbée, fusillé dans un fauteuil, ses blessures ne lui permettant pas d’embrasser la mort debout ; La Rochejaquelein, dont les patriotes ordonnèrent de vérifier le cadavre, afin de rassurer la Convention au milieu de ses victoires. Cet homme, qui n’était rien, avait assisté à deux cents prises et reprises de villes, villages et redoutes, à sept cents actions particulières et à dix-sept batailles rangées ; il avait combattu trois cent mille hommes de troupes réglées, six à sept cent mille réquisitionnaires et gardes nationaux ; il avait aidé à enlever cent pièces de canon et cinquante mille fusils ; il avait traversé les colonnes infernales, compagnies d’incendiaires commandées par des Conventionnels ; il s’était trouvé au milieu de l’océan de feu qui, à trois reprises, roula ses vagues sur les bois de la Vendée ; enfin, il avait vu périr trois cent mille Hercules de charrue, compagnons de ses travaux, et se changer en un désert de cendres cent lieues carrées d’un pays fertile.

    monument, à Westminster, pour le général Wolfe, enseveli dans son triomphe. Le tableau de la Mort du général Wolfe, par le peintre Benjamin West (1766), eut dans toute la Grande-Bretagne un succès populaire. La gravure en fut bientôt à tous les foyers. Elle ne laissa pas de se répandre en France même, et je me souviens de l’avoir vue dans mon enfance, en plus d’un vieux logis.