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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

première bénédiction nuptiale, et Mme  de Chateaubriand sortit du couvent, où Lucile s’était enfermée avec elle[1].

C’était une nouvelle connaissance que j’avais à faire, et elle m’apporta tout ce que je pouvais désirer. Je ne sais s’il a jamais existé une intelligence plus fine que celle de ma femme : elle devine la pensée et la parole à naître sur le front ou sur les lèvres de la personne avec qui elle cause : la tromper en rien est impossible. D’un esprit original et cultivé, écrivant de la manière la plus piquante, racontant à merveille, Mme  de Chateaubriand m’admire sans avoir jamais lu deux lignes de mes ouvrages ; elle craindrait d’y rencontrer des idées qui ne sont pas les siennes, ou de découvrir qu’on n’a pas assez d’enthousiasme pour ce que je vaux. Quoique juge passionné, elle est instruite et bon juge.

Les inconvénients de Mme  de Chateaubriand, si elle en a, découlent de la surabondance de ses qualités ; mes inconvénients très réels résultent de la stérilité des miennes. Il est aisé d’avoir de la résignation, de la patience, de l’obligeance générale, de la sérénité d’humeur, lorsqu’on ne prend à rien, qu’on s’ennuie de tout, qu’on répond au malheur comme au bonheur par un désespéré et désespérant : « Qu’est-ce que cela fait ? »

Mme  de Chateaubriand est meilleure que moi, bien que d’un commerce moins facile. Ai-je été irréprochable envers elle ? Ai-je reporté à ma compagne tous les sentiments qu’elle méritait et qui lui devaient ap-

  1. Voir l’Appendice no II : Le Mariage de Chateaubriand.