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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/199

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Ah ! que n’ai-je suivi le conseil de ma sœur ! Pourquoi ai-je continué d’écrire ? Mes écrits de moins dans mon siècle, y aurait-il eu quelque chose de changé aux événements et à l’esprit de ce siècle ?

Ainsi, j’avais perdu ma mère ; ainsi, j’avais affligé l’heure suprême de sa vie ! Tandis qu’elle rendait le dernier soupir loin de son dernier fils, en priant pour lui, que faisais-je à Londres ! Je me promenais peut-être par une fraîche matinée, au moment où les sueurs de la mort couvraient le front maternel et n’avaient pas ma main pour les essuyer !

La tendresse filiale que je conservais pour madame de Chateaubriand était profonde. Mon enfance et ma jeunesse se liaient intimement au souvenir de ma mère. L’idée d’avoir empoisonné les vieux jours de la femme qui me porta dans ses entrailles me désespéra : je jetai au feu avec horreur des exemplaires de l’Essai, comme l’instrument de mon crime ; s’il m’eût été possible d’anéantir l’ouvrage, je l’aurais fait sans hésiter. Je ne me remis de ce trouble que lorsque la pensée m’arriva d’expier mon premier ouvrage par un ouvrage religieux : telle fut l’origine du Génie du christianisme.

« Ma mère, » ai-je dit dans la première préface de cet ouvrage, « après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu