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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/198

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

enfers, il est je ne sais quelle plainte éternelle, qui fait le fond ou la note dominante des lamentations humaines ; on l’entend sans cesse, et elle continuerait quand toutes les douleurs créées viendraient à se taire.

Une lettre de Julie, que je reçus peu de temps après celle de Fontanes, confirmait ma triste remarque sur mon isolement progressif : Fontanes m’invitait à travailler, à devenir illustre ; ma sœur m’engageait à renoncer à écrire ; l’un me proposait la gloire, l’autre l’oubli. Vous avez vu dans l’histoire de madame de Farcy qu’elle était dans ce train d’idées ; elle avait pris la littérature en haine, parce qu’elle la regardait comme une des tentations de sa vie.


« Saint-Servan, 1er juillet 1798.

« Mon ami, nous venons de perdre la meilleure des mères ; je t’annonce à regret ce coup funeste. Quand tu cesseras d’être l’objet de nos sollicitudes, nous aurons cessé de vivre. Si tu savais combien de pleurs tes erreurs ont fait répandre à notre respectable mère, combien elles paraissent déplorables à tout ce qui pense et fait profession non-seulement de piété, mais de raison ; si tu le savais, peut-être cela contribuerait-il à t’ouvrir les yeux, à te faire renoncer à écrire ; et si le ciel touché de nos vœux, permettait notre réunion, tu trouverais au milieu de nous tout le bonheur qu’on peut goûter sur la terre ; tu nous donnerais ce bonheur, car il n’en est point pour nous tandis que tu nous manques et que nous avons lieu d’être inquiètes de ton sort. »