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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/223

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

les souvenirs de l’enfance, comme je les chantai dans le château de Combourg :

« Lorsque j’explorais, jeune montagnard, la noire bruyère, et gravissais ta cime penchée, ô Morven couronné de neige, pour m’ébahir au torrent qui tonnait au-dessous de moi, ou aux vapeurs de la tempête qui s’amoncelaient à mes pieds[1]… »

Dans mes courses aux environs de Londres, lorsque j’étais si malheureux, vingt fois j’ai traversé le village de Harrow, sans savoir quel génie il renfermait. Je me suis assis dans le cimetière, au pied de l’orme sous lequel, en 1807, lord Byron écrivait ces vers, au moment où je revenais de la Palestine :

Spot of my youth ! whose hoary branches sigh,
Swept by the breeze that fans thy cloudless sky,
etc.

« Lieu de ma jeunesse, où soupirent les branches chenues, effleurées par la brise qui rafraîchit ton

    1793 la révolution me jeta en Angleterre, j’étais grand partisan du Barde écossais : j’aurais, la lance au poing, soutenu son existence envers et contre tous, comme celle du vieil Homère. Je lus avec avidité une foule de poèmes inconnus en France, lesquels, mis en lumière par divers auteurs, étaient indubitablement, à mes yeux, du père d’Oscar, tout aussi bien que les manuscrits runiques de Macpherson. Dans l’ardeur de mon admiration et de mon zèle, tout malade et tout occupé que j’étais, je traduisis quelques productions ossianiques de John Smith. Smith n’est pas l’inventeur du genre ; il n’a pas la noblesse et la verve épique de Macpherson ; mais peut-être son talent a-t-il quelque chose de plus élégant et de plus tendre… J’avais traduit Smith presque en entier : Je ne donne que les trois poèmes de Dargo, de Duthona et de Gaul… »

  1. C’est le début de l’une des pièces du recueil publié par lord Byron en 1807 sous ce titre : Heures de paresse. Le poète n’avait encore que dix-neuf ans.