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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

falaises au moyen d’un pont jeté sur un fossé : madame de Longueville avait échappé par là à la reine Anne d’Autriche ; embarquée furtivement au Havre, mise à terre à Rotterdam, elle se rendit à Stenay, auprès du maréchal de Turenne. Les lauriers du grand capitaine n’étaient plus innocents, et la moqueuse exilée ne traitait pas trop bien le coupable.

Madame de Longueville, qui relevait de l’hôtel de Rambouillet, du trône de Versailles et de la municipalité de Paris, se prit de passion pour l’auteur des Maximes[1], et lui fut fidèle autant qu’elle le pouvait. Celui-ci vit moins de ses pensées que de l’amitié de madame de La Fayette et de madame de Sévigné, des vers de La Fontaine et de l’amour de madame de Longueville : voilà ce que c’est que les attachements illustres.

La princesse de Condé, près d’expirer, dit à madame de Brienne : « Ma chère amie, mandez à cette pauvre misérable qui est à Stenay l’état où vous me voyez, et qu’elle apprenne à mourir. » Belles paroles ; mais la princesse oubliait qu’elle-même avait été aimée de Henri IV, qu’emmenée à Bruxelles par son mari, elle avait voulu rejoindre le Béarnais, s’échapper la nuit par une fenêtre, et faire ensuite trente ou quarante lieues à cheval ; elle était alors une pauvre misérable de dix-sept ans.

Descendu de la falaise, je me suis trouvé sur le grand chemin de Paris ; il monte rapidement au sortir de Dieppe. À droite, sur la ligne ascendante d’une berge, s’élève le mur d’un cimetière ; le long de ce mur est établi un rouet de corderie. Deux cordiers,

  1. Le duc de La Rochefoucauld.