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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Tout en m’occupant à retrancher, augmenter, changer les feuilles du Génie du christianisme la nécessité me forçait de suivre quelques autres travaux. M. de Fontanes rédigeait alors le Mercure de France : il me proposa d’écrire dans ce journal. Ces combats n’étaient pas sans quelque péril : on ne pouvait arriver à la politique que par la littérature, et la police de Bonaparte entendait à demi-mot. Une circonstance singulière, en m’empêchant de dormir, allongeait mes heures et me donnait plus de temps. J’avais acheté deux tourterelles ; elles roucoulaient beaucoup : en vain je les enfermais la nuit dans ma petite malle de voyageur ; elles n’en roucoulaient que mieux. Dans un des moments d’insomnie qu’elles me causaient, je m’avisai d’écrire pour le Mercure une lettre à madame de Staël[1]. Cette boutade me fit tout à coup sortir de l’ombre ; ce que n’avaient pu faire mes deux gros volumes sur les Révolutions, quelques pages d’un journal le firent. Ma tête se montrait un peu au-dessus de l’obscurité.

Ce premier succès semblait annoncer celui qui l’allait suivre. Je m’occupais à revoir les épreuves d’Atala (épisode renfermé, ainsi que René, dans le Génie du christianisme) lorsque je m’aperçus que des feuilles me manquaient. La peur me prit : je crus qu’on avait

  1. Cette lettre à Mme de Staël avait exactement pour titre : Lettre à M. de Fontanes sur la deuxième édition de l’ouvrage de Mme de Staël (De la littérature considérée dans ses rapports avec la morale, etc.). Cette lettre était signée : l’Auteur du Génie du Christianisme. Elle fut imprimée dans le Mercure du 1er  nivôse an IX (22 décembre 1800). C’est un des plus éloquents écrits de Chateaubriand. Il figure maintenant dans toutes les éditions du Génie du Christianisme, auquel il se rattache de la façon la plus étroite.