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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dérobé mon roman, ce qui assurément était une crainte bien peu fondée, car personne ne pensait que je valusse la peine d’être volé. Quoi qu’il en soit, je me déterminai à publier Atala à part, et j’annonçai ma résolution dans une lettre adressée au Journal des Débats et au Publiciste[1].

Avant de risquer l’ouvrage au grand jour, je le montrai à M. de Fontanes : il en avait déjà lu des fragments en manuscrit à Londres. Quand il fut arrivé au discours du père Aubry, au bord du lit de mort d’Atala, il me dit brusquement d’une voix rude : « Ce n’est pas cela ; c’est mauvais ; refaites cela ! » Je me retirai désolé ; je ne me sentais pas capable de mieux faire. Je voulais jeter le tout au feu ; je passai depuis

  1. Voici cette lettre :
    « CITOYEN,

    « Dans mon ouvrage sur le Génie du Christianisme, ou les Beautés de la religion chrétienne, il se trouve une partie entière consacrée à la poétique du Christianisme. Cette partie se divise en quatre livres : poésie, beaux-arts, littérature, harmonies de la religion avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. Dans ce livre, j’examine plusieurs sujets qui n’ont pu entrer dans les précédents, tels que les effets des ruines gothiques comparées aux autres sortes de ruines, les sites des monastères dans la solitude, etc. Ce livre est terminé par une anecdote extraite de mes voyages en Amérique, et écrite sous les huttes mêmes des sauvages ; elle est intitulée Atala, etc. Quelques épreuves de cette petite histoire s’étant trouvées égarées, pour prévenir un accident qui me causerait un tort infini, je me vois obligé de l’imprimer à part, avant mon grand ouvrage.

    « Si vous vouliez, citoyen, me faire le plaisir de publier ma lettre, vous me rendriez un important service.

    « J’ai l’honneur d’être, etc. »

    La lettre est signée : l’Auteur du Génie du Christianisme. Elle parut dans le Journal des Débats, du 10 germinal, an IX (31 mars 1801).