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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Dans la population parisienne se mêlait une population étrangère de coupe-jarrets du midi ; l’avant-garde des Marseillais, que Danton attirait pour la journée du 10 août et les massacres de septembre, se faisait connaître à ses haillons, à son teint bruni, à son air de lâcheté et de crime, mais de crime d’un autre soleil : in vultu vitium, au visage le vice.

À l’Assemblée législative, je ne reconnaissais personne ; Mirabeau et les premières idoles de nos troubles, ou n’étaient plus, ou avaient perdu leurs autels. Pour renouer le fil historique brisé par ma course en Amérique, il faut reprendre les choses d’un peu plus haut.


VUE RÉTROSPECTIVE.

La fuite du roi, le 21 juin 1791, fit faire à la Révolution un pas immense. Ramené à Paris le 25 du même mois, il avait été détrôné une première fois, puisque l’Assemblée nationale déclara que ses décrets auraient force de loi sans qu’il fût besoin de la sanction ou de l’acceptation royale. Une haute cour de justice, devançant le tribunal révolutionnaire, était établie à Orléans. Dès cette époque madame Roland demandait la tête de la reine[1], en attendant que la Révolution lui de-

  1. Mme  Roland avait demandé la tête de la reine dès les premiers jours de la Révolution. Le 26 juillet 1789, au lendemain des égorgements qui avaient accompagné et suivi la prise de la Bastille, elle écrivait de Lyon à son ami Bosc, le futur éditeur de ses Mémoires : « …Je vous ai écrit des choses plus rigoureuses que vous n’en avez faites ; et cependant, si vous n’y prenez garde, vous n’aurez fait qu’une levée de boucliers… Vous vous occupez d’une municipalité, et vous laissez échapper des têtes qui vont conjurer de nouvelles horreurs. Vous n’êtes que des enfants ; votre enthousiasme est un feu de paille ; et si l’Assemblée nationale ne fait pas en règle le procès de deux têtes il-