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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le heurt que le Génie du Christianisme donna aux esprits fit sortir le XVIIIe siècle de l’ornière, et le jeta pour jamais hors de sa voie : on recommença, ou plutôt on commença à étudier les sources du christianisme : en relisant les Pères (en supposant qu’on les eût jamais lus), on fut frappé de rencontrer tant de faits curieux, tant de science philosophique, tant de beautés de style de tous les genres, tant d’idées, qui, par une gradation plus ou moins sensible, faisaient le passage de la société antique à la société moderne : ère unique et mémorable de l’humanité, où le ciel communique avec la terre au travers d’âmes placées dans des hommes de génie.

Auprès du monde croulant du paganisme, s’éleva autrefois, comme en dehors de la société, un autre monde, spectateur de ces grands spectacles, pauvre, à l’écart, solitaire, ne se mêlant des affaires de la vie que quand on avait besoin de ses leçons ou de ses secours.

C’était une chose merveilleuse de voir ces premiers évêques, presque tous honorés du nom de saints et de martyrs, ces simples prêtres veillant aux reliques et aux cimetières, ces religieux et ces ermites dans leurs couvents ou dans leurs grottes, faisant des règlements de paix, de morale, de charité, quand tout était guerre, corruption, barbarie, allant des tyrans de Rome aux chefs des Tartares et des Goths, afin de prévenir l’injustice des uns et la cruauté des autres, arrêtant des armées avec une croix de bois et une parole pacifique ; les plus faibles des hommes, et protégeant le monde contre Attila ; placés entre deux univers pour en être le lien, pour consoler les der-