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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

substituer aux mystères chrétiens des mystères encore plus incompréhensibles : le panthéisme, qui, d’ailleurs, est de trois ou quatre espèces, et qu’il est de mode aujourd’hui d’attribuer aux intelligences éclairées, est la plus absurde des rêveries de l’Orient, remise en lumière par Spinosa : il suffit de lire à ce sujet l’article du sceptique Bayle sur ce juif d’Amsterdam. Le ton tranchant dont quelques-uns parlent de tout cela révolterait, s’il ne tenait au défaut d’études : on se paye de mots que l’on n’entend pas, et l’on se figure être des génies transcendants. Que l’on se persuade bien que les Abailard, les saint Bernard, les saint Thomas d’Aquin, ont porté dans la métaphysique une supériorité de lumières dont nous n’approchons pas ; que les systèmes saint-simonien, phalanstérien, fouriériste, humanitaire, ont été trouvés et pratiqués par les diverses hérésies ; que ce que l’on nous donne pour des progrès et des découvertes sont des vieilleries qui traînent depuis quinze cents ans dans les écoles de la Grèce et dans les collèges du moyen âge. Le mal est que les premiers sectaires ne purent parvenir à fonder leur république néo-platonicienne, lorsque Gallien permit à Plotin d’en faire l’essai dans la Campanie : plus tard, on eut le très grand tort de brûler les sectaires quand ils voulurent établir la communauté des biens, déclarer la prostitution sainte, en avançant qu’une femme ne peut, sans pécher, refuser un homme qui lui demande une union passagère au nom de Jésus-Christ : il ne fallait, disaient-ils, pour arriver à cette union, qu’anéantir son âme et la mettre un moment en dépôt dans le sein de Dieu.