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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

nerre[1], elle se remaria depuis au marquis de Talaru[2]. Elle avait, en prison, converti M. de La Harpe[3]. Ce fut par elle que je connus le peintre Neveu, enrôlé au nombre de ses cavaliers servants ; Neveu me mit un moment en rapport avec Saint-Martin.

M. de Saint-Martin[4] avait cru trouver dans Atala certain argot dont je ne me doutais pas, et qui lui prouvait une affinité de doctrines avec moi. Neveu, afin de lier deux frères, nous donna à dîner dans une chambre haute qu’il habitait dans les communs du Palais-Bourbon. J’arrivai au rendez-vous à six heures ; le philosophe du ciel était à son poste. À sept

  1. Stanislas-Marie-Adélaïde, comte de Clermont-Tonnerre (1757-1792), l’un des membres les plus éloquents de l’Assemblée constituante. Le 10 août 1792, une troupe armée pénétra dans son hôtel, sous prétexte d’y chercher des armes. Conduit à la section, il fut frappé en chemin d’un coup de feu tiré à bout portant ; il se réfugia dans l’hôtel de Brissac, où la populace le poursuivit et le massacra.
  2. Louis-Justin-Marie, marquis de Talaru (1769-1850). Il fut quelque temps, sous la Restauration, ambassadeur de France à Madrid. Nommé pair de France, le 17 août 1815, par la même ordonnance que Chateaubriand, il siégea dans la Chambre haute jusqu’au 24 février 1848.
  3. On lit dans la Vie de M. Émery, par l’abbé Gosselin, t. I, p. 130 : « Mme  la comtesse Stanislas de Clermont-Tonnerre, incarcérée au Luxembourg avec La Harpe, avait été l’instrument dont Dieu s’était servi pour la conversion de ce littérateur. Ce fait, rapporté sur un simple ouï-dire par M. Michaud, dans la Biographie universelle (Supplément, article Talaru), est positivement attesté par M. Clausel de Coussergues, dans sa lettre à M. Faillon, du 20 mars 1843. »
  4. Louis-Claude de Saint-Martin, dit le Philosophe inconnu (1743-1803). Ses principaux ouvrages sont l’Homme de désir et le Ministère de l’Homme-Esprit. Il avait publié en 1799 un poème intitulé : Le Crocodile ou la Guerre du bien et du mal, arrivée sous le règne de Louis XV, poème épico-magique en cent-deux chants, par un amateur de choses cachées.