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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/328

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

s’ennuient et se détestent cordialement dans toute la mauvaise humeur de l’âge : c’est la justice de Dieu.

Malheur à qui le ciel accorde de longs jours !

Il devenait difficile de comprendre quelques pages des Confessions, quand on avait vu l’objet des transports de Rousseau : madame de Houdetot avait-elle conservé les lettres que Jean-Jacques lui écrivait, et qu’il dit avoir été plus brûlantes que celles de la Nouvelle Héloïse ? On croit qu’elle en avait fait le sacrifice à Saint-Lambert.

À près de quatre-vingts ans madame de Houdetot s’écriait encore, dans des vers agréables :

   Et l’amour me console !
Rien ne pourra me consoler de lui.

Elle ne se couchait point qu’elle n’eût frappé trois fois à terre avec sa pantoufle, en disant à feu l’auteur des Saisons : « Bonsoir, mon ami ! » C’était là à quoi se réduisait, en 1803, la philosophie du XVIIIe siècle.

La société de madame de Houdetot, de Diderot, de Saint-Lambert, de Rousseau, de Grimm, de madame d’Épinay, m’a rendu la vallée de Montmorency insupportable, et quoique, sous le rapport des faits, je sois bien aise qu’une relique des temps voltairiens soit tombée sous mes yeux, je ne regrette point ces temps. J’ai revu dernièrement, à Sannois[1], la maison qu’habitait madame de Houdetot ; ce n’est plus qu’une co-

  1. Sannois, dans le canton d’Argenteuil, arrondissement de Versailles (Seine-et-Oise).