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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

que vide, réduite aux quatre murailles. Un âtre abandonné intéresse toujours ; mais que disent des foyers où ne s’est assise ni la beauté, ni la mère de famille, ni la religion, et dont les cendres, si elles n’étaient dispersées, reporteraient seulement le souvenir vers des jours qui n’ont su que détruire ?


Une contrefaçon du Génie du Christianisme, à Avignon, m’appela au mois d’octobre 1802 dans le midi de la France[1]. Je ne connaissais que ma pauvre Bretagne et les provinces du Nord, traversées par moi en quittant mon pays. J’allais voir le soleil de Provence, ce ciel qui devait me donner un avant-goût de l’Italie et de la Grèce, vers lesquelles mon instinct et la muse me poussaient. J’étais dans une disposition heureuse ; ma réputation me rendait la vie légère : il y a beaucoup de songes dans le premier enivrement de la renommée, et les yeux se remplissent d’abord avec délices de la lumière qui se lève ; mais que cette lumière s’éteigne, elle vous laisse dans l’obscurité ; si elle dure, l’habitude de la voir vous y rend bientôt insensible.

Lyon me fit un extrême plaisir. Je retrouvai ces ouvrages des Romains que je n’avais point aperçus depuis le jour où je lisais dans l’amphithéâtre de Trèves quelques feuilles d’Atala, tirées de mon havre-

  1. Il quitta Paris le 18 octobre 1802. Trois jours avant son départ, il écrivait à son ami Chênedollé, alors en Normandie : Mon cher ami, je pars lundi pour Avignon, où je vais saisir, si je puis, une contrefaçon qui me ruine ; je reviens par Bordeaux et par la Bretagne. J’irai vous voir à Vire et je vous ramènerai à Paris, où votre présence est absolument nécessaire, si vous voulez enfin entrer dans la carrière diplomatique.