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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

terrer à Avignon, dans l’église de Saint-Antoine. Il avait écrit la Belle Dame sans mercy, et le baiser de Marguerite d’Écosse l’a fait vivre.

D’Avignon je me rendis à Marseille. Que peut avoir à désirer une ville à qui Cicéron adresse ces paroles, dont le tour oratoire a été imité par Bossuet : « Je ne t’oublierai pas, Marseille, dont la vertu est à un degré si éminent, que la plupart des nations te doivent céder, et que la Grèce même ne doit pas se comparer à toi ! » (Pro L. Flacco.) Tacite, dans la Vie d’Agricola, loue aussi Marseille, comme mêlant l’urbanité grecque à l’économie des provinces latines. Fille de l’Hellénie, institutrice de la Gaule, célébrée par Cicéron, emportée par César, n’est-ce pas réunir assez de gloire ? Je me hâtai de monter à Notre-Dame de la Garde, pour admirer la mer que bordent avec leurs ruines les côtes riantes de tous les pays fameux de l’antiquité. La mer, qui ne marche point, est la source de la mythologie, comme l’Océan, qui se lève deux fois le jour, est l’abîme auquel a dit Jéhovah : « Tu n’iras pas plus loin. »

Cette année même, 1838, j’ai remonté sur cette cime ; j’ai revu cette mer qui m’est à présent si connue, et au bout de laquelle s’élevèrent la croix et la tombe victorieuses. Le mistral soufflait ; je suis entré dans le fort bâti par François Ier, où ne veillait plus un vétéran de l’armée d’Égypte, mais où se tenait un conscrit destiné pour Alger et perdu sous des voûtes obscures. Le silence régnait dans la chapelle restaurée, tandis que le vent mugissait au dehors. Le cantique des matelots de la Bretagne à Notre-Dame de Bon-Secours me revenait en pensée : vous savez quand