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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/343

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mis le ciel, l’océan et le soleil, ce ne sont pas les immenses objets dont je suis inspiré ; ils me donnent seulement une sensation de grandeur, qui jette ma petitesse éperdue et non consolée aux pieds de Dieu. Mais une fleur que je cueille, un courant d’eau qui se dérobe parmi des joncs, un oiseau qui va s’envolant et se reposant devant moi, m’entraînent à toutes sortes de rêves. Ne vaut-il pas mieux s’attendrir sans savoir pourquoi, que de chercher dans la vie des intérêts émoussés, refroidis par leur répétition et leur multitude ? Tout est usé aujourd’hui, même le malheur.

À Narbonne, je rencontrai le canal des Deux-Mers. Corneille, chantant cet ouvrage, ajoute sa grandeur à celle de Louis XIV :

La Garonne et le Tarn, en leurs grottes profondes,
Soupiraient dès longtemps pour marier leurs ondes,
Et faire ainsi couler par un heureux penchant
Les trésors de l’aurore aux rives du couchant.
Mais à des vœux si doux, à des flammes si belles
La nature, attachée à des lois éternelles,
Pour obstacle invincible opposait fièrement
Des monts et des rochers l’affreux enchaînement.
France, ton grand roi parle, et ces rochers se fendent,
La terre ouvre son sein, les plus hauts monts descendent.
Tout cède[1].  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

  1. La pièce de Pierre Corneille à laquelle sont empruntés ces vers a pour titre : Sur le canal du Languedoc, pour la jonction des Deux Mers : Imitation d’une pièce latine de Parisot, avocat de Toulouse. Dans le premier vers, Corneille n’a pas dit : « La Garonne et le Tarn », mais :
    La Garonne et l’Atax, en leurs grottes profondes…

    L’Atax, c’est l’Aude, qui se jette dans la Méditerranée par les étangs de Sijean et de Vendres.