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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pu le faire en m’occupant de vous. J’ai devant mes yeux ce triste spectacle ; j’ai le secret de la douleur, et mon âme s’arrête toujours avec déchirement devant ces âmes auxquelles la nature donna la puissance de souffrir plus que les autres. J’espérais que madame de Beaumont jouirait du privilège qu’elle reçut, d’être plus heureuse ; j’espérais qu’elle retrouverait un peu de santé avec le soleil d’Italie et le bonheur de votre présence. Ah ! rassurez-moi, parlez-moi ; dites-lui que je l’aime sincèrement, que je fais des vœux pour elle. A-t-elle eu ma lettre écrite en réponse à la sienne à Clermont ? Adressez votre réponse à Michaud : je ne vous demande qu’un mot, car je sais, mon cher Chateaubriand, combien vous êtes sensible et combien vous souffrez. Je la croyais mieux ; je ne lui ai pas écrit ; j’étais accablée d’affaires ; mais je pensais au bonheur qu’elle aurait de vous revoir, et je savais le concevoir. Parlez-moi un peu de votre santé ; croyez à mon amitié, à l’intérêt que je vous ai voué à jamais, et ne m’oubliez pas.

« B. Krüdener. »

Le mieux que l’air de Rome avait fait éprouver à madame de Beaumont ne dura pas : les signes d’une destruction immédiate disparurent, il est vrai ; mais il semble que le dernier moment s’arrête toujours pour nous tromper. J’avais essayé deux ou trois fois une promenade en voiture avec la malade ; je m’efforçais de la distraire, en lui faisant remarquer la campagne et le ciel : elle ne prenait plus goût à rien. Un jour, je la menai au Colisée ; c’était un de ces jours