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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’octobre, tels qu’on n’en voit qu’à Rome. Elle parvint à descendre, et alla s’asseoir sur une pierre, en face d’un des autels placés au pourtour de l’édifice. Elle leva les yeux ; elle les promena lentement sur ces portiques morts eux-mêmes depuis tant d’années, et qui avaient vu tant mourir ; les ruines étaient décorées de ronces et d’ancolies safranées par l’automne et noyées dans la lumière. La femme expirante abaissa ensuite, de gradins en gradins jusqu’à l’arène, ses regards qui quittaient le soleil ; elle les arrêta sur la croix de l’autel, et me dit : « Allons ; j’ai froid. » Je la reconduisis chez elle ; elle se coucha et ne se releva plus.

Je m’étais mis en rapport avec le comte de La Luzerne ; je lui envoyais de Rome, par chaque courrier, le bulletin de la santé de sa belle-sœur. Lorsqu’il avait été chargé par Louis XVI d’une mission diplomatique à Londres, il avait emmené mon frère avec lui : André Chénier faisait partie de cette ambassade[1].

Les médecins que j’avais assemblés de nouveau, après l’essai de la promenade, me déclarèrent qu’un miracle seul pouvait sauver madame de Beaumont.

  1. Chateaubriand paraît avoir fait ici une confusion. Le comte de la Luzerne, l’ambassadeur, qui avait eu pour secrétaire à Londres André Chénier et Louis de Chateaubriand, était mort à Southampton, le 14 septembre 1791. Ce n’est donc pas à lui que l’auteur des Mémoires écrivait en 1803. Le correspondant de Chateaubriand, le beau-frère de Mme de Beaumont, était le comte Guillaume de la Luzerne, neveu de l’ambassadeur et fils de César-Henri de la Luzerne, ministre de la Marine sous Louis XVI. Guillaume de La Luzerne avait épousé, en 1787, la sœur aînée de Mme de Beaumont, Victoire de Montmorin, qui, ainsi qu’on l’a vu à la note 2 de la page 255 (note 19 du Livre I), mourut en prison sous la Terreur.