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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/42

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Il ne restait à Danton qu’à se montrer aussi impitoyable à sa propre mort qu’il l’avait été à celle de ses victimes, qu’à dresser son front plus haut que le coutelas suspendu : c’est ce qu’il fit. Du théâtre de la Terreur, où ses pieds se collaient dans le sang épaissi de la veille, après avoir promené un regard de mépris et de domination sur la foule, il dit au bourreau : « Tu montreras ma tête au peuple ; elle en vaut la peine. » Le chef de Danton demeura aux mains de l’exécuteur, tandis que l’ombre acéphale alla se mêler aux ombres décapitées de ses victimes : c’était encore de l’égalité.

Le diacre et le sous-diacre de Danton, Camille Desmoulins et Fabre d’Églantine[1], périrent de la même manière que leur prêtre.

À l’époque où l’on faisait des pensions à la guillotine, où l’on portait alternativement à la boutonnière de sa carmagnole, en guise de fleur, une petite guillotine en or[2], ou un petit morceau de cœur de guillotiné ; à l’époque où l’on vociférait : Vive l’enfer ! où l’on célébrait les joyeuses orgies du sang, de l’acier et de la rage, où l’on trinquait au néant, où l’on dansait tout nu la danse des trépassés, pour n’avoir pas la peine de se déshabiller en allant les rejoindre ; à cette époque, il fallait, en fin de compte, arriver au dernier

  1. Philippe-François-Nazaire Fabre d’Églantine (1750-1794), comédien, poète comique et député de Paris à la Convention. Il fut guillotiné avec Danton et Camille Desmoulins, le 5 avril 1794.
  2. Voir la Guillotine pendant la Révolution, par G. Lenotre, p. 306 et suiv. et au tome V du Journal d’un bourgeois de Paris pendant la Terreur, par Edmond Biré, les deux chapitres sur la Guillotine.