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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/442

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

parte avait l’Aigle-Noir.) Il y a je ne sais quelle dérision amère dans ces souvenirs presque insensés de chevalerie, éteints partout, excepté au cœur d’un roi malheureux pour un ami assassiné ; nobles sympathies de l’infortune, qui vivent à l’écart sans être comprises, dans un monde ignoré des hommes !

Hélas ! nous avions passé à travers trop de despotismes différents, nos caractères, domptés par une suite de maux et d’oppressions, n’avaient plus assez d’énergie pour qu’à propos de la mort du jeune Condé notre douleur portât longtemps le crêpe : peu à peu les larmes se tarirent ; la peur déborda en félicitations sur les dangers auxquels le premier consul venait d’échapper ; elle pleurait de reconnaissance d’avoir été sauvée par une si sainte immolation. Néron, sous la dictée de Sénèque, écrivit au sénat une lettre apologétique du meurtre d’Agrippine ; les sénateurs, transportés, comblèrent de bénédictions le fils magnanime qui n’avait pas craint de s’arracher le cœur par un parricide tant salutaire ! La société retourna vite à ses plaisirs ; elle avait frayeur de son deuil : après la Terreur, les victimes épargnées dansaient, s’efforçaient de paraître heureuses, et, craignant d’être soupçonnées coupables de mémoire, elles avaient la même gaieté qu’en allant à l’échafaud.

Ce ne fut pas de but en blanc et sans précaution que l’on arrêta le duc d’Enghien ; Bonaparte s’était fait rendre compte du nombre des Bourbons en Europe. Dans un conseil où furent appelés MM. de Talleyrand et Fouché, on reconnut que le duc d’Angoulême était à Varsovie avec Louis XVIII ; le comte