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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

permirent jamais, dans son propre intérêt, de le faire varier sur ce point : Qu’il avait soutenu les droits de sa famille, et qu’un Condé ne pouvait jamais rentrer en France que les armes à la main. Ma naissance, mon opinion, ajouta-t-il, me rendent à jamais l’ennemi de votre gouvernement.

« La fermeté de ses aveux devenait désespérante pour ses juges. Dix fois nous le mîmes sur la voie de revenir sur ses déclarations, toujours il persista d’une manière inébranlable : Je vois, disait-il par intervalles, les intentions honorables des membres de la commission, mais je ne peux me servir des moyens qu’ils m’offrent. Et sur l’avertissement que les commissions militaires jugeaient sans appel : Je le sais, me répondit-il, et je ne me dissimule pas le danger que je cours ; je désire seulement avoir une entrevue avec le premier consul. »

Est-il dans toute notre histoire une page plus pathétique ? La nouvelle France jugeant la France ancienne, lui rendant hommage, lui présentant les armes, lui faisant le salut du drapeau en la condamnant ; le tribunal établi dans la forteresse où le grand Condé, prisonnier, cultivait des fleurs ; le général des grenadiers de la garde de Bonaparte, assis en face du dernier descendant du vainqueur de Rocroi, se sentant ému d’admiration devant l’accusé sans défenseur, abandonné de la terre, l’interrogeant tandis que le bruit du fossoyeur qui creusait la tombe se mêlait aux réponses assurées du jeune soldat ! Quelques jours après l’exécution, le général Hulin s’écriait : « Ô le brave jeune homme ! quel courage ! Je voudrais mourir comme lui. »