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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cinq heures du soir, le 19 mars 1804, dans le cabinet du premier consul, qui lui remet une lettre cachetée pour la porter au général Murat, gouverneur de Paris. Il vole chez le général, se croise avec le ministre des relations extérieures, reçoit l’ordre de prendre la gendarmerie d’élite et d’aller à Vincennes. Il s’y rend à huit heures du soir et voit arriver les membres de la commission. Il pénètre bientôt dans la salle où l’on jugeait le prince, le 21, à une heure du matin, et il va s’asseoir derrière le président. Il rapporte les réponses du duc d’Enghien, à peu près comme les rapporte le procès-verbal de l’unique séance. Il m’a raconté que le prince, après avoir donné ses dernières explications, ôta vivement sa casquette, la posa sur la table, et, comme un homme qui résigne sa vie, dit au président : « Monsieur, je n’ai plus rien à dire. »

M. de Rovigo insiste sur ce que la séance n’était point mystérieuse : « Les portes de la salle, affirme-t-il, étaient ouvertes et libres pour tous ceux qui pouvaient s’y rendre à cette heure. » M. Dupin avait déjà remarqué cette perturbation de raisonnement. À cette occasion, M. Achille Roche[1], qui semble écrire pour M. de Talleyrand, s’écrie : « La séance ne fut point mystérieuse ! À minuit ! elle se tint dans la

  1. Achille Roche, publiciste (1801-1834). Il fut secrétaire de Benjamin Constant. Il est l’auteur de deux ouvrages qui eurent, en leur temps, quelque succès : l’Histoire de la Révolution française, en un volume (1825) ; le Fanatisme, extrait des Mémoires d’un Ligueur (4 vol. in-12), 1827. L’écrit dont Chateaubriand cite ici quelques passages, et qui parut en 1823, est intitulé : De Messieurs le duc de Rovigo et le prince de Talleyrand, par Achille Roche.