Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/477

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
447
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

contre la légèreté du prince. Les documents non brûlés furent retrouvés ; quelqu’un pense les devoir conserver : j’ai tenu dans mes mains et lu de mes yeux une lettre de M. de Talleyrand ; elle est datée du 8 mars 1804 et relative à l’arrestation, non encore exécutée, de M. le duc d’Enghien. Le ministre invite le premier consul à sévir contre ses ennemis. On ne me permit pas de garder cette lettre, j’en ai retenu seulement ces deux passages : « Si la justice oblige de punir rigoureusement, la politique exige de punir sans exception. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . J’indiquerai au premier consul M. de Caulaincourt, auquel il pourrait donner ses ordres, et qui les exécuterait avec autant de discrétion que de fidélité. »

Ce rapport du prince de Talleyrand paraîtra-t-il un jour en entier ? Je l’ignore ; mais ce que je sais, c’est qu’il existait encore il y a deux ans.

Il y eut une délibération du conseil pour l’arrestation du duc d’Enghien. Cambacérès, dans ses Mémoires inédits, affirme, et je le crois, qu’il s’opposa à cette arrestation ; mais, en racontant ce qu’il dit, il ne dit pas ce qu’on lui répliqua.

Du reste, le Mémorial de Saint-Hélène nie les sollicitations en miséricorde auxquelles Bonaparte aurait été exposé. La prétendue scène de Joséphine demandant à genoux la grâce du duc d’Enghien, s’attachant au pan de l’habit de son mari et se faisant traîner par ce mari inexorable, est une de ces inventions de mélodrame avec lesquelles nos fabliers composent aujourd’hui la véridique histoire. Joséphine ignorait, le 19 mars au soir, que le duc d’Enghien devait être jugé ; elle le savait seulement arrêté. Elle avait pro-