Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/484

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
454
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

moi sans quelque admiration ; et voilà pourtant la justice distributive d’ici-bas ! » — Et ces dernières paroles furent dites avec une telle expression, tous les traits de la figure se montraient en telle harmonie avec elles, que si celui que Napoléon plaignait eût été dans ce moment en son pouvoir, je suis bien sûr que, quels qu’eussent été ses intentions ou ses actes, il eût été pardonné avec ardeur… L’empereur avait coutume de considérer cette affaire sous deux rapports très distincts : celui du droit commun ou de la justice établie, et celui du droit naturel ou des écarts de la violence.

« Avec nous et dans l’intimité, l’empereur disait que la faute, au dedans, pourrait en être attribuée à un excès de zèle ; autour de lui, ou à des vues privées, ou enfin à des intrigues mystérieuses. Il disait qu’il avait été poussé inopinément, qu’on avait pour ainsi dire surpris ses idées, précipité ses mesures, enchaîné ses résultats. « Assurément, disait-il, si j’eusse été instruit à temps de certaines particularités concernant les opinions et le naturel du prince ; si surtout j’avais vu la lettre qu’il m’écrivit et qu’on ne me remit, Dieu sait par quels motifs, qu’après qu’il n’était plus, bien certainement j’eusse pardonné. » Et il nous était aisé de voir que le cœur et la nature seuls dictaient ces paroles à l’empereur, et seulement pour nous ; car il se serait senti humilié qu’on pût croire un instant qu’il cherchait à se décharger sur autrui, ou descendît à se justifier ; sa crainte à cet égard, ou sa susceptibilité, étaient telles qu’en parlant à des