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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Il sentait l’injure faite au sang royal dont il sortait, au souvenir des héros parmi lesquels il brûlait de se placer. Comment, après cette horrible action, un seul roi de l’Europe a-t-il pu se lier avec un tel homme ? La nécessité ! dira-t-on. Il y a un sanctuaire de l’âme où jamais son empire ne doit pénétrer ; s’il n’en était pas ainsi, que serait la vertu sur la terre ? Un amusement libéral qui ne conviendrait qu’aux paisibles loisirs des hommes privés[1] ? »

Ce ressentiment du prince, qu’il devait payer de sa vie, durait encore lorsque la campagne de Prusse s’ouvrit, en 1806. Frédéric-Guillaume, dans son manifeste du 9 octobre, dit : « Les Allemands n’ont pas vengé la mort du duc d’Enghien ; mais jamais le souvenir de ce forfait ne s’effacera parmi eux. »

Ces particularités historiques, peu remarquées, méritaient de l’être ; car elles expliquent des inimitiés dont on serait embarrassé de trouver ailleurs la cause première, et elles découvrent en même temps ces degrés par lesquels la Providence conduit la destinée d’un homme, pour arriver de la faute au châtiment.


Heureuse, du moins, ma vie qui ne fut ni troublée par la peur, ni atteinte par la contagion, ni entraînée par les exemples ! La satisfaction que j’éprouve aujourd’hui de ce que je fis alors, me garantit que la conscience n’est pas une chimère. Plus content que tous ces potentats, que toutes ces nations tombées aux pieds du glorieux soldat, je relis avec un orgueil pardonnable cette page qui m’est restée comme mon seul bien et que je ne dois qu’à moi. En 1807, le cœur encore

  1. Mme  de Staël, Dix années d’exil, p. 98.