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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/496

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

aimée, comme on disait du temps de Diane de Poitiers. Mon jardinet aboutissait à un chantier et j’avais auprès de ma fenêtre un grand peuplier que M. Lally-Tolendal, afin de respirer un air moins humide, abattit lui-même de sa grosse main, qu’il voyait transparente et décharnée : c’était une illusion comme une autre. Le pavé de la rue se terminait alors devant ma porte ; plus haut, la rue ou le chemin montait à travers un terrain vague que l’on appelait la Butte-aux-Lapins. La Butte-aux-Lapins, semée de quelques maisons isolées, joignait à droite le jardin de Tivoli, d’où j’étais parti avec mon frère pour l’émigration, à gauche le parc de Monceaux. Je me promenais assez souvent dans ce parc abandonné ; la Révolution y commença parmi les orgies du duc d’Orléans : cette retraite avait été embellie de nudités de marbre et de ruines factices, symbole de la politique légère et débauchée qui allait couvrir la France de prostituées et de débris.

Je ne m’occupais de rien ; tout au plus m’entretenais-je dans le parc avec quelques sapins, ou causais-je du duc d’Enghien avec trois corbeaux, au bord d’une rivière artificielle cachée sous un tapis de mousse verte. Privé de ma légation alpestre et de mes amitiés de Rome, de même que j’avais été tout à coup séparé de mes attachements de Londres, je ne savais que faire de mon imagination et de mes sentiments ; je les mettais tous les soirs à la suite du soleil, et ses rayons ne les pouvaient emporter sur les mers. Je rentrais, et j’essayais de m’endormir au bruit de mon peuplier.

    semble rue de Miroménil, dans une jolie petite maison. Enfin notre ami est le chef d’une tribu qui me paraît assez heureuse. Son bon Génie et le Ciel sont chargés de pourvoir au reste. »