Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/509

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
479
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sainte Vierge. Je ne rencontre point sans une sorte de curiosité attendrie ces petits Auvergnats qui vont chercher fortune dans ce grand monde avec un petit coffret de sapin. Ils n’ont guère que l’espérance dans leur boîte, en descendant de leurs rochers ; heureux s’ils la rapportent !

Hélas ! il n’y avait pas deux ans que madame de Beaumont reposait au bord du Tibre, lorsque je foulai sa terre natale, en 1805 ; je n’étais qu’à quelques lieues de ce Mont-Dore, où elle était venue chercher la vie qu’elle allongea un peu pour atteindre Rome. L’été dernier, en 1838, j’ai parcouru de nouveau cette même Auvergne. Entre ces dates, 1805 et 1838, je puis placer les transformations arrivées dans la société autour de moi.

Nous quittâmes Clermont, et, en nous rendant à Lyon, nous traversâmes Thiers et Roanne[1]. Cette route, alors peu fréquentée, suivait çà et là les rives du Lignon. L’auteur de l’Astrée, qui n’est pas un grand esprit, a pourtant inventé des lieux et des personnages qui vivent ; tant la fiction, quand elle est appropriée à l’âge où elle paraît, a de puissance créatrice ! Il y a, du reste, quelque chose d’ingénieusement fantastique dans cette résurrection des nymphes et des naïades qui se mêlent à des bergers, des dames

  1. « M. de Chateaubriand vint nous rejoindre à Vichy ; je dis adieu à Mme  de Coislin, et nous partîmes pour la Suisse. Avant d’arriver à Thiers, nous traversâmes la petite rivière de la Dore ; son nom donna à M. de Chateaubriand une rime qu’il n’avait jamais pu trouver pour un des couplets de sa romance des Petits Émigrés. » (Souvenirs de Mme  de Chateaubriand). — La romance des Petits Émigrés est devenue, dans le Dernier Abencerage, la jolie pièce : Combien j’ai douce souvenance.