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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

écrire. Enfin tout le monde est dans la joie, excepté moi ; il n’y a que vous qui grogniez. Dites à Fontanes que j’ai dîné chez M. Saget. »

Ce M. Saget était la providence des chanoines ; il demeurait sur le coteau de Sainte-Foix, dans la région du bon vin. On montait chez lui à peu près par l’endroit où Rousseau avait passé la nuit au bord de la Saône.

« Je me souviens, dit-il, d’avoir passé une nuit délicieuse, hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait la Saône. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé : il avait fait très-chaud ce jour-là ; la soirée était charmante, la rosée humectait l’herbe flétrie ; point de vent, une nuit tranquille ; l’air était frais sans être froid ; le soleil après son coucher avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges, dont la réflexion rendait l’eau couleur de rose ; les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient de l’un à l’autre. Je me promenais dans une sorte d’extase, livrant mes sens et mon cœur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d’en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade, sans m’apercevoir que j’étais las. Je m’en aperçus enfin : je me couchai voluptueusement sur la tablette d’une espèce de niche ou de fausse porte, enfoncée dans un mur de terrasse : le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres, un rossignol était précisément au-dessus de moi ; je m’endormis à son chant : mon sommeil fut doux ; mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux en