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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qui t’ai proposé l’aimable distraction d’aller te voir, que je t’ai promis de ne point en abuser ; mais si tu as changé d’avis, que ne me l’as-tu dit avec franchise ? Je n’ai point de courage contre tes politesses. Autrefois tu me distinguais un peu plus de la foule commune et me rendais plus de justice. Puisque tu comptes sur moi aujourd’hui, j’irai tantôt te voir à onze heures. Nous arrangerons ensemble ce qui te conviendra le mieux pour l’avenir. Je t’ai écrit, certaine que je n’aurais pas le courage de te dire un seul mot de ce que contient cette lettre. »


Cette lettre si poignante et tout admirable est la dernière que je reçus ; elle m’alarma par le redoublement de tristesse dont elle est empreinte. Je courus aux Dames Saint-Michel ; ma sœur se promenait dans le jardin avec madame de Navarre ; elle rentra quand on lui fit savoir que j’étais monté chez elle. Elle faisait visiblement des efforts pour rappeler ses idées et elle avait, par intervalles, un léger mouvement convulsif dans les lèvres. Je la suppliai de revenir à toute sa raison, de ne plus m’écrire des choses aussi injustes et qui me déchiraient le cœur, de ne plus penser que je pouvais jamais être fatigué d’elle. Elle parut un peu se calmer aux paroles que je multipliais pour la distraire et la consoler. Elle me dit qu’elle croyait que le couvent lui faisait mal, qu’elle se trouverait mieux dans un logement isolé, du côté du Jardin des Plantes, là où elle pourrait voir des médecins et se promener. Je l’invitai à suivre son goût, ajoutant qu’afin d’aider Virginie, sa femme de chambre, je lui donnerais le vieux Saint-Germain. Cette proposition parut lui faire