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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/536

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

objets qui m’avaient quitté, comme un marin étranger dont l’engagement est expiré et qui n’a ni foyers ni patrie, je frappais du pied la rive ; je brûlais de me jeter à la nage dans un nouvel océan pour me rafraîchir et le traverser. Nourrisson du Pinde et croisé à Solyme, j’étais impatient d’aller mêler mes délaissements aux ruines d’Athènes, mes pleurs aux larmes de Madeleine.

J’allai voir ma famille[1] en Bretagne, et, de retour à Paris, je partis pour Trieste le 13 juillet 1806 : madame de Chateaubriand m’accompagna jusqu’à Venise, où M. Ballanche la vint rejoindre[2].

  1. La famille de Chateaubriand comprenait, à cette date, Mme la comtesse de Marigny, Mme la comtesse de Chateaubourg et leurs enfants ; la fille de la comtesse Julie de Farcy ; les fils du comte de Chateaubriand.
  2. « Nous allâmes faire nos adieux à nos parents en Bretagne, et, en juillet, M. de Chateaubriand se mit en route pour son grand voyage. Je partis avec lui, devant l’accompagner jusqu’à Venise. En passant à Lyon, au moment où nous traversions la place Bellecour, deux pistolets, qui se trouvaient bien imprudemment placés dans le cylindre de la voiture, partirent en même temps et mirent le feu au cylindre dans lequel se trouvaient une boîte de poudre et un sac de louis. C’était plus qu’il n’en fallait pour nous faire sauter, et avec nous une foule de monde qui entourait la voiture. M. de Chateaubriand eut la présence d’esprit, après m’avoir jeté dans les bras du premier venu, de retirer le sac et la boîte, et de descendre ensuite. On répara le dommage et nous continuâmes notre route. — En partant, je fis promettre au bon Ballanche de venir me chercher à Venise, où M. de Chateaubriand devait me quitter… M. de Chateaubriand quitta Venise le vendredi 1er août 1806, pour aller s’embarquer à Trieste. Je restai plusieurs jours attendant Ballanche qui n’arrivait pas. Je commençais à me désespérer, mourant d’ennui et du désir de me retrouver en France avec des amis auxquels je pusse confier mes inquiétudes. Il arriva enfin, c’était le soir : je lui fis une scène. Je lui dis que j’allais l’emmener sur la place Saint-Marc, et que c’était tout ce qu’il