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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dit à l’interprète qu’on lui avait assuré qu’il fallait être en très grand nombre pour ne pas être attaqué : le janissaire me dit la même chose. Alors, j’allai trouver Monsieur et lui répétai ce qu’ils m’avaient dit tous trois, et, de plus, que nous trouverions à une journée de marche un petit village où il y avait un espèce de consul qui pourrait nous instruire de la vérité. D’après ce rapport, Monsieur se calma et nous continuâmes notre route jusqu’à cet endroit. Aussitôt arrivé, il se rendit près du consul, qui lui dit tous les dangers qu’il courait, s’il persistait à vouloir aller en si petit nombre dans ces plaines de Troie. Alors Monsieur a été obligé de renoncer à son projet, et nous continuâmes notre route pour Constantinople. »

J’arrive à Constantinople[1].

  1. Il arriva à Constantinople le 13 septembre 1806. Le jour même il adressait à sa cousine Mme  de Talaru cette jolie lettre :

    « Me voilà dans le plus beau pays du monde, ma chère cousine, et je ne suis pas plus heureux. J’ai vu la Grèce, j’ai visité Sparte, Argos, Corinthe. Je vais partir pour Jérusalem, et j’espère vous revoir dans le mois de décembre. Les Martyrs profiteront de ces courses. Mais le pauvre auteur aura bien payé, par des peines et des soucis, quelques phrases qui encore ne plairont peut-être pas au public. Chère cousine, je vous en supplie, trouvez-moi quelque coin obscur auprès de vous, où je puisse enfin vivre en repos et passer le reste de mes jours. Vous ne sauriez croire à quel point j’ai soif de retraite et de paix. Il faut bien se mettre dans la tête que toute la vie consiste dans la société de quelques amis, et l’oubli des méchants autant qu’on peut les oublier. J’avais un besoin réel de faire ce voyage, pour compléter le cercle de mes études. À présent que j’aurai vu les plus beaux monuments des hommes et ceux de la nature, je n’aurai plus envie de sortir de mon trou. Au reste, chère cousine, je suis toujours le même ; tel vous m’avez laissé, tel vous me trouverez. Je mourrai dans mon péché, et je vous assure que