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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

MON ITINÉRAIRE.

« L’absence presque totale des femmes, le manque de voitures à roues et les meutes de chiens sans maîtres furent les trois caractères distinctifs qui me frappèrent d’abord dans l’intérieur de cette ville extraordinaire. Comme on ne marche guère qu’en babouches, qu’on n’entend point de bruit de carrosses et de charrettes, qu’il n’y a point de cloches, ni presque pas de métiers à marteau, le silence est continuel. Vous voyez autour de vous une foule muette qui semble vouloir passer sans être aperçue, et qui a toujours l’air de se dérober aux regards du maître. Vous arrivez sans cesse d’un bazar à un cimetière, comme si les Turcs n’étaient là que pour acheter, vendre et mourir. Les cimetières,

    j’irais au bout de la terre, avant de pouvoir trouver beau ce que je trouve laid.

    « Comme nous causerons de mille choses un jour à Charamante ! Comme je travaillerai dans un certain pavillon noir qui m’est destiné ! Que n’y suis-je déjà ! Une grande mer nous sépare encore ; mais j’espère la franchir bientôt. En attendant, je vous recommande la petite créature qui doit être à présent chez Joubert (Mme de Chateaubriand) ; je lui porte un beau schall pour la tenir chaudement cet hiver, et pour ne point aller voir les grandes dames, mais sa cousine, qui est bien une grande dame aussi. Il me semble que je vous vois tous ensemble faisant un méchant dîner à mon second étage, et écoutant de longues histoires, que j’aurai rapportées de Grèce. Bon Dieu ! que je suis fou d’être encore ici ! Allons, patience : j’arriverai.

    « Adieu, chère cousine, je vous embrasse tendrement, ainsi que M. de T [alaru]. Mille choses à MM. de Court et Chavana ; mille souvenirs à tous mes amis. Priez pour moi et aimez-moi toujours.

    « Si vous voyez ma femme, ne lui dites rien de mon voyage en Syrie, de peur de l’effrayer.

    « Ch. »