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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/602

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Après avoir reproduit une lettre du 1er août 1804, M. Bardoux ajoute : « Le Chateaubriand quinteux, personnel, méfiant, est tout entier dans cette lettre[1] » De quoi s’agit-il donc ? M. Bardoux ne nous le dit pas, par cette excellente raison qu’il n’en sait rien lui-même. Prise isolément, la lettre qu’il avait sous les yeux n’était pas seulement obscure, elle était inintelligible. Mais alors pourquoi s’emparer de cette lettre, à laquelle on ne comprend rien, dont on ignore par conséquent le caractère et la portée, pour s’en faire une arme contre son auteur, pour en tirer des conclusions défavorables à son caractère ?

Aujourd’hui, grâce à la publication de M. Chédieu de Robethon, nous savons exactement ce qui s’est passé.

Désintéressé, généreux, n’entendant rien aux affaires, Chateaubriand était parfois à court d’argent. Pendant son séjour à Rome, il avait épuisé ses dernières ressources au cours de la maladie de Mme de Beaumont ; il ne pouvait pas, et pour rien au monde il n’aurait voulu, en un tel moment, lui exposer sa détresse, lui demander un crédit, et se faire rembourser en quelque sorte des soins qu’il lui avait prodigués. Il y avait là une question de délicatesse et d’honneur. C’est dans ces circonstances qu’il s’adressa à Mme de Custine. Celle-ci refusa. Elle n’avait vu qu’une rivale, là où elle ne devait voir qu’une infortunée et une mourante. Chateaubriand était rentré en France depuis quelques mois, lorsqu’il apprend que cet incident connu de lui seul et de Mme de Custine est tombé dans la bouche du public et que les détails en courent les salons. Atteint jusqu’au fond du cœur, il écrit à Mme de Custine la lettre qu’on va lire :

Lundi, 16 Juillet 1804.

Je ne sais si vous ne finirez point par avoir raison, si tous vos noirs pressentiments ne s’accompliront point. Mais je sais

  1. Bardoux, p. 158.