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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/614

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rupture. « J’ai toujours entendu dire à Mme Récamier, écrit Mme Lenormant dans ses Souvenirs (I, 57), que les procédés, le langage, les sentiments que fit entendre et voir M. de La Harpe dans cette pénible affaire avaient été pleins de modération, de droiture et de sincère humilité. » Il y avait d’autant plus de mérite, qu’il se voyait à ce moment doublement frappé, la demande en divorce de Mlle de Longuerue coïncidant avec le décret de proscription lancé contre lui par les auteurs du coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797).

Le divorce civil une fois prononcé, Mlle de Longuerue entreprit de faire annuler son mariage devant l’autorité religieuse. Ici encore, l’attitude et la conduite de La Harpe furent de tous points irréprochables. On en pourra juger par la lettre suivante, qu’il écrivit à Mme Récamier, le 19 mai 1798, de l’asile où il se tenait alors caché, à Corbeil :

Tout considéré, Madame, je vous avouerai que je répugne extrêmement à des explications par écrit qui ne sauraient que m’être trop pénibles et qui ne sont bonnes à rien. Vous savez mieux que personne combien dans cette malheureuse affaire mes intentions étaient pures, quoique ma conduite n’ait pas été prudente.

Ma confiance a été aveugle et on en a indignement abusé. J’ai été trompé de toutes manières par celle à qui je ne voulais faire que du bien, et Dieu s’est servi d’elle pour me punir du mal que j’avais fait à d’autres. Que sa volonté soit faite, et qu’il daigne lui pardonner comme à moi, et comme je lui pardonne de tout mon cœur ! Plus on a eu de torts envers moi et moins je veux me permettre les reproches, et c’est ce que toute explication entraînerait nécessairement. Le mal est fait, et il est de nature à ce que Dieu seul puisse le réparer, puisqu’il peut tout. Les moyens qu’on veut employer aujourd’hui, uniquement dictés par les intérêts humains, ne me paraissent pas faits pour réussir, quoi qu’il me soit permis, ce me semble, de le désirer, au moins pour la satisfaction personnelle d’une personne que la jeunesse expose plus que toute autre et qui doit toujours m’être chère à cause du lien qui nous unit devant Dieu.

Je vous supplie donc de lui dire, soit de vive voix, soit même