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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/71

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de gloire. Mes camarades étaient dans la joie : moi j’avais les larmes aux yeux quand je voyais passer ces dragons de l’Océan, qui ne conduisaient plus les vaisseaux avec lesquels ils humilièrent les Anglais et délivrèrent l’Amérique. Au lieu d’aller chercher des continents nouveaux pour les léguer à la France, ces compagnies de La Pérouse s’enfonçaient dans les boues de l’Allemagne. Ils montaient le cheval consacré à Neptune ; mais ils avaient changé d’élément, et la terre n’était pas à eux. En vain leur commandant portait à leur tête le pavillon déchiré de la Belle-Poule, sainte relique du drapeau blanc, aux lambeaux duquel pendait encore l’honneur, mais d’où était tombée la victoire.

Nous avions des tentes ; du reste, nous manquions de tout. Nos fusils, de manufacture allemande, armes de rebut, d’une pesanteur effrayante, nous cassaient l’épaule, et souvent n’étaient pas en état de tirer. J’ai fait toute la campagne avec un de ces mousquets dont le chien ne s’abattait pas.

Nous demeurâmes deux jours à Trèves. Ce me fut un grand plaisir de voir des ruines romaines, après avoir vu les ruines sans nom de l’Ohio, de visiter cette ville si souvent saccagée, dont Salvien disait : « Fugitifs de Trèves, vous voulez des spectacles, vous redemandez aux empereurs les jeux du cirque : pour quel état, je vous prie, pour quel peuple, pour quelle ville ? » Theatra igitur quœritis, circum a principibus postulatis ? cui, quæso, statui, cui populo, cui civitati ?

Fugitifs de France, où était le peuple pour qui nous voulions rétablir les monuments de saint Louis ?