Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

reconnaissance de la place, qu’on somma en vain, quoique Wimpfen[1] la semblât vouloir rendre. Comme le grand Condé, nous n’avions pas gagné la bataille de Rocroi, ainsi nous ne pûmes nous emparer de Thionville ; mais nous ne fûmes pas battus sous ses murs, comme Feuquières[2]. On se logea sur la voie publique, dans la tête d’un village servant de faubourg à la ville, en dehors de l’ouvrage à cornes qui défendait le pont de la Moselle. On se fusilla de maison en maison ; notre poste se maintint en possession de celles qu’il avait prises. Je n’assistai point à cette première affaire ; Armand, mon cousin, s’y trouva et s’y comporta bien. Pendant qu’on se battait dans ce village, ma compagnie était commandée pour une batterie à établir au bord d’un bois qui coiffait le sommet d’une colline. Sur la déclivité de cette colline, des vignes descendaient

  1. Louis-Félix, baron de Wimpfen (1744-1814) était maréchal de camp lorsqu’il fut élu député aux États-Généraux par la noblesse du bailliage de Caen. Nommé commandant de Thionville, lors de l’entrée des Prussiens en France, il défendit intrépidement cette place pendant cinquante-cinq jours, jusqu’au moment où il fut dégagé par la victoire de Valmy. Après la révolution du 31 mai, il mit, quoique royaliste, son épée au service des députés girondins réfugiés à Caen ; mais les beaux parleurs de la Gironde, après une bataille pour rire qui reçut le nom de bataille sans larmes, se refusèrent à pousser plus loin l’aventure. Wimpfen réussit à se cacher pendant le règne de la Terreur. Le gouvernement consulaire lui rendit son grade de général de division, et l’Empereur le nomma inspecteur des haras. Il fut créé baron en 1809. Le général de Wimpfen a laissé des Mémoires.
  2. Manassès de Pas, marquis de Feuquières (1590-1639), lieutenant général sous Louis XIII. Il contribua puissamment à la prise de La Rochelle, et chargé, en 1633, d’une mission diplomatique, il réussit à resserrer l’alliance entre la France, la Suède et les princes protestants de l’Allemagne. Ayant mis, en 1639, le siège devant Thionville, il y fut blessé et pris, et mourut quelques mois après de ses blessures.