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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

les lèvres des communiants. Pendant cette cérémonie, et du sein de la nuit, il bénissait la lumière !

Nos pères croyaient que les patrons des hameaux, Jean le Silentiaire, Dominique l’Encuirassé, Jacques l’Intercis, Paul le Simple, Basle l’Ermite, et tant d’autres, n’étaient point étrangers au triomphe des armes par qui les moissons sont protégées. Le jour même de la bataille de Bouvines, des voleurs s’introduisirent, à Auxerre, dans un couvent sous l’invocation de saint Germain, et dérobèrent les vases sacrés. Le sacristain se présente devant la châsse du bienheureux évêque, et lui dit en gémissant : « Germain, où étais-tu lorsque ces brigands ont osé violer ton sanctuaire ? » Une voix sortant de la châsse répondit : « J’étais auprès de Cisoing, non loin du pont de Bouvines ; avec d’autres saints, j’aidais les Français et leur roi, à qui une victoire éclatante a été donnée par notre secours :


« Cui fuit auxilio victoria præstita nostro. »


Nous faisions des battues dans la plaine, et nous les poussions jusqu’aux hameaux sous les premiers retranchements de Thionville. Le village du grand chemin trans-Moselle était sans cesse pris et repris. Je me trouvai deux fois à ces assauts. Les patriotes nous traitaient d’ennemis de la liberté, d’aristocrates, de satellites de Capet ; nous les appelions brigands, coupe-têtes, traîtres et révolutionnaires. On s’arrêtait quelquefois, et un duel avait lieu au milieu des combattants devenus témoins impartiaux ; singulier caractère français que les passions mêmes ne peuvent étouffer !